Le bagne-ole.
On aurait dû se méfier.
Dès le début, au XIXém siècle, un type muni d’un drapeau rouge les précédait, alertant les passants de leur arrivée. Deux précautions valent mieux qu’une : leur vitesse était limitée à 6 km/h sur route et 3 km/h en ville. On s’inquiétait alors que ces engins puissent causer des accidents mortels, effrayer les chevaux, bloquer les voies étroites, et perturber la tranquillité nocturne.
Mais voila, très vite, ses concepteurs firent appel aux petits malins de la com pour en faire des objet cools. Ils les présentèrent même comme un moyen d’émancipation de la femme issue des classes moyennes-supérieures puisque, grâce à elles, on pouvait partir chopiner avec ses amies en début d’après-midi et rentrer à temps pour préparer le repas de son cadre supérieur de mari. La liberté de voyager devenait accessible à toutes et tous et les réticences à leur développement furent levées les une après les autres. Quelques décennies plus tard, le mal était fait.
De multiples routes, dénommées bien justement autoroutes, construites à leurs seules intentions, devenaient submergées par ces véhicules, devenues objets de consommation courante. Polluantes, bruyantes, dangereuses, les voitures s’étaient octroyées une place de premier plan dans le mode de vie humain. En favorisant la naissance de vastes zones commerciales à l’écart des centres villes, elles les dépeuplèrent purement et simplement et précipitèrent l’étalement urbain, synonyme d’effondrement de la biodiversité. En facilitant le transport de marchandises, elles entrainèrent une surconsommation, synonyme elle, de dérèglement climatique.
Aujourd’hui, les accidents qu’elles entrainent causent à eux seul le décès de 1,3 million de personne dans le monde. Chaque année. Et vingt fois plus de blessés. Mais c’est sans compter sur la pollution générée par leur fabrication, leur transport sur les lieux de ventes et bien entendu pas leur déplacement au quotidien. Bien qu’il soit extrêmement complexe d’attribuer la part de l’automobile et des camions dans la mortalité dû à la pollution atmosphérique, les experts les plus prudents estiment que celle-ci est au minimum le double de celle causée par les accidents.
Résumons : des dizaines de millions de victimes chaque année, un climat déréglé, une nature dévastée. Face à un tel constat, n’importe quel être doué de raison prendrait les dispositions nécessaires. Pas nous.
La bagnole agît comme une drogue. Très forte. Partout sur la planète, les politiques publiques mises en œuvre afin de restreindre le champ d’action des automobiles se heurtent à des résistances inimaginables. Car retirer sa dose à un toxico revient à s’exposer à une réaction violente de celui-ci. Rien qu’en France, elles ont entrainé ces dernières années des jacqueries de toutes couleurs, du mouvement des bonnets rouges à celui des gilets jaunes en passant aux émeutes liées à l’exécution violente d’un adolescent conduisant sans permis.
Prenez Carlos Moreno, un urbaniste franco-colombien, théoricien de "la ville du quart d’heure", système visant à réduire les transports motorisés et ainsi limiter les émissions de gaz à effet de serre. Son idée : concevoir des villes telles que ses résidents puissent remplir six fonctions essentielles (vie, travail, commerce, soins de santé, éducation et divertissement) à moins de 15 minutes de marche ou de vélo de leur logement. Une évidence, pensez-vous ? Carlos Moreno vit aujourd’hui sous protection policière, menacé de mort par ses détracteurs qui l’accusent de vouloir "priver les individus de leur liberté de se déplacer."
Pourtant, les alternatives existent. Transports publics ( train, bus, métro, tramways...), mobilités douces ( vélo, trottinette.. ) et bien entendu la marche, permettent l’avènement de ces villes du "quart d’heure". Il y manque sans doute un frein à la spéculation immobilière afin que chacun puisse se loger au plus prés de ces services. Et un certain courage politique.
La bagnole, vous en reprendrez bien une petite dose pour la route ?