Un rêve éveillé.
Un soir d’août 2005 à Ramallah, en Cisjordanie, capitale de facto de l’Autorité Palestinienne.
Dans le hall d’entrée du Palais de la culture se pressent dignitaires locaux et membres d’organisations internationales, tous en tenue de gala, sous le regard sourcilleux de soldats armés de fusils-mitrailleurs. Dans la fosse, résonne déjà la cacophonie familière d’un orchestre accordant ses instruments.
L’existence de ce bâtiment, financé par le Japon et inauguré un an plus tôt, est déjà en soit un miracle. Le territoire a en effet connu 2 intifadas, dont la seconde s’est à peine achevée quelques mois plus tôt, lors de la rencontre entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon en Égypte. Certains quartiers sont encore recouverts de ruines fumantes causés par les bombardements meurtriers de l’armée Israélienne. Mais clairement, le concert de ce soir appartient au registre du surnaturel.
Les 80 musiciens qui composent le West-Eastern Divan Orchestra sont israéliens, palestiniens, mais aussi libanais, égyptiens, syriens, jordaniens, ou espagnols. Ils s’apprêtent à jouer Mozart et Beethoven devant une salle comble. Quatre-vingts musiciens donc, âgés de 13 à 26 ans et dirigés par le chef d’orchestre alors le plus célèbre au monde : l’Israélo-Argentin Daniel Barenboim. Un événement.
Cet orchestre improbable, c’est son projet ainsi que celui de l’écrivain chrétien américano-palestinien Edward Saïd, décédé en 2003. L’idée : réunir chaque été environ 80 jeunes instrumentistes d’Israël et des États arabes voisins afin de promouvoir le dialogue, à défaut de la paix, entre Juifs et Arabes. L’orchestre se réunit chaque été en Espagne, à Séville, où il répète pendant le mois de juillet avant d’entreprendre en août une tournée mondiale (Europe, Amérique du Sud, etc.) sous la baguette de Barenboïm.
Formé à Weimar en 1999, le projet met du temps à rassembler des mécènes. Bénévole, Daniel Barenboim est frustré par le manque de soutien européen : « Si l’Europe n’exporte pas sa culture et son humanisme, le Moyen-Orient finira par exporter sa violence », prévient-il.
Après l’attaque du Hamas en octobre 2023, il déclare :
"J’en suis convaincu : les Israéliens connaîtront la sécurité lorsque les Palestiniens pourront ressentir l’espoir, c’est-à-dire la justice. Les deux parties doivent reconnaître leurs ennemis comme des êtres humains et essayer de compatir à leur point de vue, à leur douleur et à leurs difficultés. Les Israéliens doivent également accepter que l’occupation de la Palestine est incompatible avec cela."
El Rozé vous propose d’écouter les deux premiers mouvements de la 9e symphonie de Beethoven joués par le West-Eastern Divan Orchestra. Parce que la musique adoucit les mœurs parait-il. Nous est-il encore permis d’en rêver ?