La Planète Six

Pop cubaine

et révolutionnaire

La culture, c’est du sérieux. Tout du moins, quand on est un révolutionnaire dénonçant l’hégémonie de l’Oncle Sam sur l’Amérique latine, on ne plaisante pas avec ce que le glorieux peuple des prolétaires peut voir, lire, et écouter, une fois son marteau et sa faucille posés après une dure journée de labeur. A Cuba, Fidel Castro dessina ainsi dans un discours de 1961 intitulé « Paroles aux intellectuels », le champ que devait selon lui couvrir la culture :
« Dans la Révolution, tout ; contre la Révolution, rien ».

Quelques années plus tard, Alfredo Guevara, le directeur de l’Institut Cubain de l’Art et de l’Industrie Cinématographiques (ICAIC), organe chargé de produire des actualités cinématographiques et des œuvres de fiction, décide de créer un département spécialisé dans la musique de film, le Grupo de Experimentación Sonora del ICAIC. Bien vite, ce groupe expérimental ne se contente plus de former toute une génération de compositeurs et de musiciens à l’écriture de la musique filmique. Dés 1971, son chef d’orchestre Leo Brouwer définit sa ’mission fondamentale’ : « Revendiquer la chanson avec sa signification sociale, mais avec un sens élevé de la poétique, avec une construction impeccable et avec une haute technologie. ». Autrement dit, révolutionner la musique populaire cubaine considérée comme trop influencé par la culture américaine.

Mais voila, nous sommes alors au début des années 70, à une époque où le pouvoir cubain se soviétise. Une ligne artistique ou une sexualité jugée déviante peut vous conduire en centre d’internement, sans certitude d’en ressortir jamais. Alfredo Guevara, lui-même ouvertement homosexuel, profite des liens d’amitiés qui le lient à Fidel Castro depuis leurs jeunes années étudiantes pour faire de l’ICAIC un refuge contre l’obscurantisme.
De fait, les recherches sonores associant le tropicalisme brésilien, le free jazz, le rock psychédélique et la pop anglaise de son département musical franchissent les grilles de la censure pour former des ponts avec le mouvement engagé Nueva Trova et imprègnent aujourd’hui encore la culture cubaine. Quitte à briser certains clichés.

On a bien du mal en effet en écoutant ces enregistrements du GESI a retrouver l’iconographie traditionnelle chère au Buena Vista Social Club de musiciens assis sur le capot d’une décapotable américaine, un cigare au bec et un verre de rhum à portée de main devant une villa coloniale de La Havane. On pense plutôt à un John, Lennon ou Cage selon les morceaux, ayant partagé quelques psychotropes avec un Tom Zé ou un Caetano Veloso. Mais la génération de musiciens cubains qui a émergé sur la scène internationale au début du nouveau millénaire ( Omar Sosa, Yilian Canizares...) ne ferait peut-être pas la même musique si le Grupo de Experimentación Sonora del ICAIC n’avait dépoussiéré le folklore d’une île décidément trop paradoxale pour se limiter à une seule image.

No comas mierda !