La Planète Six

Femmes engagées

Sur le front

Angela, Nicola, Kolinda, Dalia, Marie-Louise, Erna, Tsai, Bidhyai, Hasina, Michelle, Margarita, Ameenah, Ellen, Cristinar, Dilma et Laimdota...Toutes ces femmes sont, ou ont été, aux commandes d’un pays, d’un état, d’un gouvernement. Elles sont chargées d’expliquer, lentement et avec des mots simples, aux Emmanuel, Donald, Vladimir, Tayip, Xi, Salmane, Jair, et autres Boris que le temps des couilles posées sur le bureau, fut-il présidentiel, est bel et bien révolu.

La représentativité des femmes dans l’échiquier politique mondial est désormais irréversible. Depuis environ un quart de siècle, elles ont coulé ce que certaines appellent "a concrete floor", une chape de béton, sous leurs pieds, résistante aux marteaux piqueurs les plus rétrogrades. Pour que la grande majorité des pays soient dirigés par des femmes, ce n’est plus qu’une question de temps. Bien sûr, il restera toujours, ici ou là, quelques territoires tellement dévastés par l’activité des hommes qu’aucune femme ne voudra relever le défi de les reconstruire. Mais demain si ce n’est ce soir, à l’échelle de la planète, se reproduira le même schéma que celui à l’œuvre dans les cuisines de chaque foyer depuis des temps immémoriaux : les femmes décideront, les hommes exécuteront.

Car leur pouvoir ne s’arrête pas au champ du politique, loin s’en faut. Les conseils d’administrations des multinationales se féminisent à la même vitesse, peut-être même plus vite encore. Que le FMI nomme à sa tête la française Christine Lagarde après la révélation d’une "relation précipitée" entre son ancien directeur, également français, et une femme de ménage, en dit long sur les passations de pouvoirs en cours. Idem pour les médias, le sport, l’industrie...le tsunami de la féminisation emporte tout sur son passage.

Bien sûr, rien de tout cela ne s’est fait seul. Des militantes ont creusé les fondations supportant cette dalle en béton, parfois au péril de leur vie. Deux sessions préparées par El Rozé nous permettent de les apercevoir.

Angela Davis par exemple.

Avant de devenir directrice du département d’études féministes de l’université de Californie en 1991, elle fut un temps la femme la plus recherchée par le FBI pour une prise d’otages au cours de laquelle plusieurs personnes périrent. Noire, marxiste, membre des black panters, ça fait déjà beaucoup. Mais femme, c’est plus que ce que l’Amérique de Nixon pouvait supporter. Finalement capturée après deux mois de cavale, elle encourt la peine capitale. Deux ans plus tard et après une mobilisation internationale en sa faveur, elle est acquittée.

La musique adoucit les mœurs se plait-on à dire. Elle peut aussi les changer.

Les corridos sont des ballades en usage durant la période de la Guerre d’indépendance mexicaine exaltant les figures marquantes des deux camps, royalistes ou insurgés. Ils se déroulent en 3 temps : prologue, déroulement de l’anecdote, moralité. La forme la plus répandue des corridos se nomme « Adelitas », d’après le nom d’une femme engagée très tôt dans la révolution mexicaine, Adela Velarde Pérez. Icône populaire, elle est progressivement devenue synonyme du terme soldadera, la femme soldat.

Plus tard mais non loin du Mexique, la chanteuse trinidadienne Calypso Rose démarre sa carrière en écrivant dès 1955 le morceau Glass Thief après avoir vu un homme arracher des lunettes de soleil à une femme. Dès lors, elle ne cesse de décrire le contexte politique et social de son île. Ainsi à travers sa chanson No Madame elle dénonce les conditions de travail des femmes de ménage. Son succès est tel que le gouvernement de Trinidad et Tobago se verra dans l’obligation d’instituer un salaire minimum ! « Si je n’avais pas pris le parti des femmes, qui l’aurait fait à ma place ? » déclarait-elle en décembre 2018 lors de la remise du Grand prix Sacem des musiques du monde accordé à son dernier album Far From Home publié en 2017.

Vîyan Peyman était une chanteuse de lamentations improvisées. Elle faisait partie des femmes kurdes ayant pris les armes pour défendre la ville syrienne de Kobane, située à la frontière avec la Turquie, face aux assauts de Daesh. Si les images de ces soldates, kalachnikov à la main au milieu de ruines, ont fait le tour du monde, c’est notamment grâce à Viyan. Devenu la femme à abattre pour un mouvement fondamentaliste dirigé par des hommes frustrés, blessée à la jambe et à l’estomac, Viyan restait sur le front. A la BBC, elle clamait : "Nous combattons ici pour toutes les femmes, spécialement celles du Moyen-Orient où elles sont traitées comme inférieures. Nous représentons le symbole de la force pour toutes les femmes de la région." En janvier 2015, Daesh levait son siège de Kobane. Viyan et son bataillon partent alors pour la ville de Sere Kaniye où les combats se déplacent. Le 6 avril, un sniper sans doute complexé par la taille de sa barbe inversement proportionnelle à celle de son pénis, transforma la jeune chanteuse révolutionnaire en martyre.

1 - Les Mains Noires, Zone libre vs Hamé & Casey (L’angle mort, 2009)
2 - Entretien avec Angela Davis (source : Mediapart, 29 novembre 2016)
3 - Complainte pour Angela Davis, Francesca Solleville (La Violence et l’Espoir, 1972)
4 - Las preguntitas a dios (Atahualpa Yupanqui), Chavelas Vargas (De México y del Mundo, 1995)
5 - Los niños trabajadores, Judith Reyes (Crónica mexicana, 1973)
6 – No Madame, Calypso Rose ( ?)
7 - Lamentation pour Kobane, Viyan Peyman (source : France Musique)
8 – Dónde Estás...Adelita !, Chabuca Granda (Enlace, ?)
9 – Dhalem (tyran), Emel Mathlouthi (Kelmti Horra, 2012